Une étude publiée dans la revue Science le confirme: les médicaments sans principe actif peuvent
être aussi efficaces que les vrais

Prenez un groupe de volontaires. Faites-leur mal – une petite brûlure, par exemple.
Donnez-leur un placebo (substance neutre sans effet pharmacologique) ou un médicament opiacé pour combattre cette douleur. Observez alors ce qui se passe, grâce à une machine ultraperfectionnée, appelée TEP (tomographie par émission de positons), qui offre une image dynamique du cerveau. Résultat? Les zones
cérébrales activées sont les mêmes, quel que soit le produit donné.  Cette expérience, réalisée par des chercheurs suédois et finlandais, est publiée dans le dernier numéro de la revue Science. Elle constitue, note le Dr Patrick Lemoine, «la première preuve visuelle d’un effet placebo». 

Pour ce médecin, chef du service de psychiatrie à l’hôpital du Vinatier, à Bron (Rhône), et auteur du Mystère du placebo (Odile Jacob), il y a bien une «communauté de mécanismes» entre les effets des deux substances comparées. Cela signifie-t-il qu’un antalgique ne sert à rien ou qu’on peut donner de la poudre de perlimpinpin à la place? Pas si simple… Car les placebos, ces «mensonges qui guérissent», pour reprendre la formule d’une spécialiste de l’histoire de la science à Harvard, Anne Harrington, n’ont pas toujours la même efficacité:
nulle face à une septicémie (infection du sang généralisée), elle peut atteindre 80% pour une douleur ulcéreuse. Entre ces deux extrêmes, on trouve des variations considérables, dans la migraine (de 20 à 58% de réponses positives), l’hypertension (entre 3 et 60%) ou encore les rhumatismes (de 14 à 84%). 

Mais, surtout, «la façon de donner vaut parfois autant que ce que l’on donne», observe Patrick Lemoine. Et il cite cette expérience menée dans son service:
pour soigner des patients atteints de douleurs lombalgiques, les médecins leur administrent, dans un premier temps, un produit qu’ils savent être neutre.
Seuls 10% des malades réagissent positivement. Deuxième temps: les 90% restants sont répartis en deux ensembles, l’un recevant un placebo, l’autre un médicament – mais ni les patients ni les praticiens ne savent dans quel groupe ils sont. Le taux d’efficacité du placebo monte alors à 58%! Cela, parce que le médecin «envoie en permanence une série de messages non verbaux (haussement de sourcils, ton assuré…) d’autant plus persuasifs qu’il est lui-même convaincu de l’efficacité de son médicament», avance le Dr Lemoine. 

«A placebo égal, l’attitude du praticien est déterminante. En outre, contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’existe pas de profil psychologique type de bon répondant», ajoute Jean-Jacques Aulas, psychiatre et psychopharmacologue clinicien. Provocateur, celui-ci va déposer prochainement une demande d’autorisation
de mise sur le marché (AMM) pour un élixir de sa composition appelé «Lobepac fort», l’anagramme de placebo. Partant du constat que, pour un même principe actif, l’efficacité varie selon la galénique (piqûre, comprimé, sirop…) et la couleur d’un médicament, son Lobepac sera soit rouge (à visée stimulante), soit
bleu (à effet apaisant). «L’AMM sera sûrement refusée, mais je compte bien faire appel devant le Conseil d’Etat», annonce-t-il déjà. 

Pourquoi pas? Après tout, avec un peu de bienveillance et d’empathie, un médecin peut modifier l’état de santé de sa clientèle. Ainsi, en 1987, un médecin de famille britannique examine 200 patients se plaignant de vagues douleurs abdominales.
Aux uns il pose un diagnostic clair et leur promet qu’ils vont se rétablir. Aux autres il avoue sa perplexité et leur propose de revenir le voir s’il n’y a pas d’amélioration. Deux semaines plus tard, les premiers vont nettement mieux: 64% des cas, contre 39% pour les seconds. 

Plus fort encore, l’histoire du Dr Stewart Wolf, médecin américain réputé, survenue au début des années 1960: chargé du cas d’un asthmatique gravement malade, il découvre dans la littérature scientifique un article sur un médicament, non encore commercialisé, qui semble révolutionnaire. Il demande donc au laboratoire un échantillon et le prescrit à son patient.

Pour la première fois depuis dix-sept ans, ce dernier ne fait plus de crises d’asthme. Etonné par une telle efficacité, le Dr Wolf réclame à la firme pharmaceutique un placebo (même couleur, même présentation). Deux jours après l’avoir avalé, le patient rechute. Après cinq allers-retours entre placebo et médicament, qui donnent tous un résultat identique en faveur du «vrai» comprimé, le médecin, enthousiaste, fait part de ses observations au laboratoire. Réponse de ce dernier: «Depuis le début, nous vous avons fourni uniquement des placebos.»
L’essentiel serait donc d’y croire…